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L'addiction aux jeux vidéo officiellement reconnue comme maladie par l'OMS

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a officiellement reconnu le « trouble du jeu vidéo » comme une maladie mentale à part entière. Pour quelles raisons cette institution de la santé publique a-t-elle jugé nécessaire de considérer cette addiction vidéoludique comme une pathologie ? Quels sont les critères définis par l’OMS pour être officiellement diagnostiqué addict aux jeux vidéo ? Cette nouvelle maladie reconnue mondialement fait-elle l’unanimité ?
Sommaire

Le lundi 18 juin 2018, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié sa 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11). Cette norme internationale permet à des médecins et chercheurs du monde entier de pouvoir diagnostiquer des affections et classer les maladies par catégories (plus de 55 000 types de blessures, causes de mort, affections ou maladies sont recensés). Dans cette dernière mise à jour médicale, l’addiction aux jeux vidéo a été reconnue comme une maladie mentale à part entière. En effet, le « trouble du jeu vidéo » (gaming disorder en anglais) a officiellement intégré le chapitre sur les troubles de l’addiction.

Désormais, la dépendance aux jeux vidéo peut être diagnostiquée chez certains joueurs compulsifs selon les critères définis par l’OMS. Ces accrocs vidéoludiques pourront à l’avenir bénéficier de soins médicaux au même titre que les addicts aux jeux d’argent, à l’alcool, au tabac, à l’opium ou encore à la cocaïne.

L’addiction aux jeux vidéo officiellement reconnue comme maladie par l’OMS


Une nouvelle maladie reconnue par l’OMS

Grâce à l’avènement des ordinateurs, des appareils mobiles (smartphones, tablettes, etc.) ou des consoles de jeu (PS4, Xbox One, Nintendo Switch…) de plus en plus performants, le secteur du jeu vidéo connaît une croissance fulgurante et historique. En 2017, le chiffre d’affaires de l’industrie vidéoludique s’élevait à 108 milliards de dollars. Plus de 2,5 milliards de personnes dans le monde s’adonnent aux plaisirs des jeux vidéo.

Internet a largement contribué à ce succès planétaire, car aujourd’hui, une grande majorité des joueurs de jeux vidéo jouent en ligne via les réseaux informatiques. Désormais, les gamers peuvent s’affronter ou coopérer en temps réel à distance à des MMORPG (jeux de rôle massivement multijoueur en ligne) comme World of Warcraft et Final Fantasy, des jeux de tir à la première personne (appelé également Doom-like ou FPS pour First person shooting) comme Call of Duty et Battlefield, ou encore des jeux de football comme FIFA et Pro Evolution Soccer, même si des milliers de kilomètres les séparent.

Mais ce divertissement interactif peut entraîner des dérives ou des excès, et créer une véritable dépendance chez certains joueurs de jeux vidéo qui deviennent compulsifs sans s’en rendre compte. Ils n’arrivent plus à décrocher de leur console, ils passent des heures et des heures, jour et nuit, à jouer, les yeux rivés sur leur écran, au point de ne pas dormir ni de se nourrir. D’ailleurs, il y a même des joueurs tellement accrocs qui sont morts d’épuisement à force de jouer sans s’arrêter.

Heureusement, le « trouble du jeu vidéo » est un comportement extrême et ne touche qu’une infime partie de l’ensemble des joueurs dans le monde (environ 2 à 3 % selon l’OMS) comme le rappelle Shekhar Sexena, directeur du département de la Santé mentale et des toxicomanies de l’Organisation mondiale de la Santé. Il a également tenu à préciser que l’OMS ne déclare en aucun cas que la pratique régulière des jeux vidéo est pathologique. En d’autres termes, si vous jouez quelques heures par jour à des jeux vidéo pour votre plaisir personnel, rassurez-vous, vous n’êtes pas malade. Par contre, si vous passez pratiquement 15 h/24 à jouer à la console, là, il faut sérieusement s’inquiéter.

Même si pour le moment, cette nouvelle addiction ne concerne qu’une faible minorité de joueurs dans le monde, l’institution spécialisée de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour la santé publique a formellement reconnu l’addiction aux jeux vidéo comme une pathologie en l’intégrant à sa 11e édition de la Classification internationale des maladies (CIM-11). Cette nomenclature n’avait pas été mise à jour depuis le début des années 1990.

Cette officialisation médicale de l’OMS permet aux différents pays de prendre des précautions nécessaires pour informer les professionnels de la santé et le grand public (notamment les parents) sur les éventuelles conséquences de jouer excessivement aux jeux vidéo, et prendre des mesures adaptées pour aider les joueurs dépendants qui ont abandonné toute vie sociale et mis leur santé mentale et/ou physique en danger.

Les critères définis par l’OMS pour être diagnostiqués addicts aux jeux vidéo

Dans la nouvelle classification des maladies de juin 2018, l’Organisation mondiale de la Santé définit l’addiction aux jeux vidéo comme « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux sur Internet, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».

Il est nécessaire de tempérer et rappeler que ce comportement extrême ne touche qu’une très faible minorité de gamers, et que la pratique régulière des jeux vidéo est considérée comme un trouble de l’addiction seulement si tous les critères définis par l’OMS sont atteints.

Pour être officiellement diagnostiqué comme un addict, il faut que les jeux vidéo influent négativement sur les activités sociales, familiales, personnelles, éducatives ou encore professionnelles des joueurs compulsifs. La dépendance doit être constatée sur un délai de 12 mois minimum.

Cette dépendance aux jeux vidéo est déjà traitée spécifiquement dans les cliniques aux États-Unis, au Japon et en Corée du Sud. Concernant la France, les mesures devraient être en place courant 2022.

Une nouvelle addiction qui fait débat

À ce jour, l’OMS est la seule institution spécialisée pour la santé publique à reconnaître l’addiction aux jeux vidéo comme étant une maladie mentale. Mais cette reconnaissance médicale est loin de faire l’unanimité et suscite de nombreuses critiques, notamment au sein de la communauté scientifique. Effectivement, les professionnels de la santé et les scientifiques sont divisés sur l’existence réelle d’un « trouble du jeu vidéo ».

Cette année, une étude a été publiée sur le site internet de la Société pour l’amélioration des sciences de la psychologie aux États-Unis, 36 chercheurs ont estimé que les preuves actuelles étaient insuffisantes pour diagnostiquer l’addiction aux jeux vidéo. Certains psychologues et spécialistes des jeux vidéo prônent la théorie selon laquelle ce n’est pas le jeu vidéo qui engendre des addictions, mais des pathologies préexistantes dont souffrent certains joueurs qui peuvent favoriser leur enfermement total dans le jeu. Déjà en 2016, des académies reconnues et de nombreux spécialistes internationaux se sont vivement opposés à l’intégration du « trouble du jeu vidéo » dans la classification des maladies. Même en 2012, l’Académie nationale de médecine voulait abandonner le terme « d’addiction aux jeux vidéo », car aucun consensus scientifique n’existait sur le sujet.

De son côté, l’industrie vidéoludique, et notamment l’Agence française pour le Jeu Vidéo (AFJV) s’inquiète de cette formalisation et s’est immédiatement insurgée face à cette idée d’assimiler les jeux vidéo à la consommation de cocaïne ou d’autres drogues. Elle estime que les études réalisées à ce jour ne sont pas assez convaincantes pour reconnaître l’addiction aux jeux vidéo comme une maladie. Elle rappelle également les aspects positifs des jeux vidéo comme leurs valeurs éducatives, récréatives ou thérapeutiques, leurs contributions à des innovations dans le domaine médical, etc. Autant de bienfaits qui ont été prouvés scientifiquement.

Par ailleurs, de nombreux scientifiques et autres professionnels de la santé adhèrent totalement à cette officialisation. Ils estiment que la reconnaissance mondiale de l’OMS est nécessaire pour assurer une meilleure prise en charge des soins médicaux (possibilité de consulter pour traiter cette nouvelle dépendance, médicaments remboursés, potentiels congés maladie, etc.), et encourager la recherche dans le but de partager toutes nouvelles données entre les hôpitaux, les centres de recherche, les régions et les pays.

L’enjeu principal est de sensibiliser et prémunir le grand public sur les risques d’excès de consommation des jeux vidéo.