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La féminisation des noms de métiers proposée à l'Académie française

L’Académie française, gardienne de notre langue, s’est longtemps opposée à la féminisation des noms de métiers, mais s’apprête à accepter officiellement cette évolution du langage qui reflète aussi une évolution sociologique des mœurs. Un point sur la situation.
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Pourquoi l’Académie française s’est-elle accrochée aussi longtemps à refuser la féminisation des noms de métiers alors que certains sont depuis longtemps passés dans le langage courant ? Dans un article posté sur son site internet, l’Express révèle que les Immortels s’apprêtent à accepter cette évolution de la langue française et évoque également les raisons pour lesquelles ces changements se sont tant fait attendre. Qu’en est-il ?

La féminisation des noms de métiers proposée à l’Académie française

Des résistances idéologiques et sociologiques

Acupunctrice, chirurgienne, infirmière, avocate, directrice, auteure, etc. tant de professions dont la féminisation du nom relève encore d’une « impropriété » de la langue française. Et pourtant, si l’on se penche sur l’histoire de la linguistique, « autrice n’est pas un néologisme : le vocable est attesté jusqu’au XVIe siècle et se construit comme actrice. Ce n’est qu’à partir du XVIIe que les femmes ont été exclues d’un certain nombre de professions et reléguées à la cuisine », explique le linguiste Bernard Cerquiglini, auteur du livre La ministre est enceinte ou la grande querelle de la féminisation des noms (édition Le Seuil).

Un exemple parmi d’autres : une ambassadrice, selon le dictionnaire de l’Académie française de 1694 était définie comme une « femme chargée d’une ambassade », mais évoluera par la suite et sera utilisée pour nommer l’« épouse de l’ambassadeur ».

De nombreux exemples montrent que la difficulté à faire évoluer les noms de métiers n’a jamais été tant linguistique (il suffit d’ajouter un « e » par-ci, une double consonne par-là) qu’idéologique, guidée par une forme de sexisme et de non-reconnaissance de la place des femmes dans la société.

La France, en retard sur la féminisation des noms

Dès la fin des années 70, le Québec a joué un rôle de précurseur au sein des pays francophones et a, dès cette époque, opté pour la féminisation des noms, rapidement rejoint par la Belgique, la Suisse et le Luxembourg. La France, quant à elle, tarde à officialiser cette évolution de la langue.

La linguiste Maria Candea, auteure de L’Académie contre la langue française, le dossier « féminisation » évoque une raison qui prête à rire — ou à s’inquiéter de l’aptitude des Immortels à débattre sur la question — : « Certains académiciens ont expliqué qu’ils n’aimaient pas doctoresse parce que cela rime avec “fesse”, sans s’apercevoir que le terme rime aussi avec princesse ou enchanteresse ! »

« Tel autre s’est opposé à rectrice, qui lui faisait penser à rectal, alors que tout le monde dit directrice. Un troisième a déclaré qu’écrivaine était à proscrire, car on entend vaine, sans se rendre compte que dans écrivain, on entend aussi vain. Il n’y avait tout simplement pas pensé ! », révèle aussi la linguiste.

La dernière fois que l’Académie s’était opposée à la féminisation des noms en 2014, elle disait rejeter « un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes ».

L’institution préconisait alors de continuer à « faire appel au masculin à valeur générique », ou « non marquée » « quand le sexe de la personne n’est pas plus à prendre en considération que ses autres particularités individuelles ».

Le vote des académiciens prévu pour fin-février début mars

« L’Académie française s’est rendu compte qu’il existait un véritable malaise : comment aujourd’hui nommer les métiers, les grades ; les titres et les fonctions des femmes ? », a expliqué l’académicienne Dominique Bona lors d’un entretien accordé au journal Libération.

Un rapport sur la question de la féminisation des noms sera publié « dans les prochains jours ». Il a été rédigé par une commission dirigée par Gabriel de Broglie avec la participation de Danièle Sallenave, Michael Edwards et Dominique Bona, et sera présenté aux académiciens qui devront ensuite voter fin février ou début mars.